L’Europe n’est pas une construction nouvelle. Si le vingtième siècle a fondé l’Union européenne, il n’a fait que donné corps à une pensée européenne plus ancienne qui trouve notamment ses origines dans l’Antiquité grecque et latine. Renouer avec la pensée européenne antique c’est comprendre avec l’essence même du mot Europe son universalité. Une universalité qui permet notamment de saisir avec les origines du concept d’Europe, celles de l’identité européenne dans sa pluralité.
L’Europe est un mythe, une idée, un territoire, un art de vivre qu’il faut penser « aux anciens parapets » comme le disait justement Rimbaud.
Du mot et du mythe Europe
Le mot « Europe » n’est que peu utilisé dans le monde antique. Europe est avant tout un mythe, celui d’une jeune princesse enlevée par Zeus. Alors qu’elle cueillait des fleurs dans une prairie, Europe, fille d’Agénor roi de Phénicie, aperçut un beau taureau blanc. Zeus ainsi transformé s’approcha de la jeune fille qui monta sur son dos. Il se précipita vers le rivage le plus proche et rejoint la Crête où les deux amants s’unirent sous un Platane [1] . De leur union naquit la race des Minoens. Ce mythe est présent dans l’imaginaire antique grec et latin. Il apparaît notamment dans les Métamorphoses d’Ovide ou sur les fresques murales de Pompéi.
Si comme l’écrivait Paul Valéry dans Note (ou l’Européen) en 1924 les fondements de la pensée européenne sont présents dans la philosophie grecque, peu de philosophes emploient le mot Europe, que ce soient les grands tragiques du Ve siècle ou même Platon. Ainsi cette « machine à fabriquer la civilisation [2] » qu’est la philosophie grecque ne construit-elle pas une pensée européenne universelle, un concept fondé sur le mot et l’imaginaire mythique d’Europe qui serait le fondement originel de l’identité et civilisation européenne. Dès lors il faut revenir à cette idée que la notion d’Europe n’a pas de relation d’identité avec celle de civilisation.
Comme l’écrivait Aristote, utiliser le terme Europe sert à différencier les Grecs de leurs voisins, ces barbares [3] Les Européens sont dans ses écrits ceux qui forment des nations qui manquent « d’organisation politique et de capacité à gouverner leurs voisins [4]. . »
Des constructions historiques de l’universalité et de l’identité de l’Europe
Les anciens n’ont pas réellement pensé l’Europe, ils lui ont donné un contenu mythologique et géographique. Elle n’a alors pas d’individualité mais est une expression géographique. Le poète Hésiode qui aurait été le premier à employer le terme à la fin du VIIIe siècle avant Jésus-Christ opposait « ceux qui vivent dans le riche Péloponnèse et ceux de l’Europe [5] ». C’est seulement trois siècles plus tard qu’Hérodote écrivait à propos des trois parties composant la terre : Asie, Libye et Europe. La partie Europe s’étendrait vers l’Est jusqu’au Tanaïs (Don), au Nord après l’Ister (Danube). Des limites géographiques peu claires de l’Europe Thyrienne qui comme le voudrait le mythe s’étendrait « de Phénicie en Crète et de Crète en Lycie [6] ».
C’est donc l’Histoire qui a formé un concept du mot Europe. Comme l’énonça Paul Valéry en 1922 lors d’une Conférence à Zurich, les origines de ce concept sont tripartites [7] et esquissent les contours d’une identité européenne. Ainsi Paul Valéry explicite-t-il que « toute race et toute terre qui a été successivement romanisée, christianisée et soumise, quant à l’esprit, à la discipline des Grecs, est absolument européenne ».
De Rome à Athènes, les origines de l’Europe sont éminemment politiques. Celles d’une pensée de la cité « idéale » dont le citoyen en est le cœur. Rome donne à l’Europe la République, née au forum dès 509 avant Jésus-Christ. « Senatus populusque romanus » est plus que la devise de la République Romaine, un système politique. La République, c’est la « Res Publica », la chose publique qui concerne à la fois les patriciens et les plébéiens.
La Grèce antique a donné quant à elle à l’Europe une origine politique, celle d’un concept : la cité. La cité idéale conceptualisée par des philosophes illustres comme Aristote et Platon, trouve sa réalisation effective sur l’Agora d’Athènes. C’est la démocratie athénienne qui est envisagée pour la première fois en 480 avant Jésus-Christ lors de la bataille de Salamine [8] . La Démocratie qui vient du grec « kratos » et « demos » est le pouvoir qui appartient au peuple. Le Christianisme a quant à lui contribué à unifier les territoires et les peuples autour d’une culture commune. L’expression consacrée à cette unification est alors « l’Europa Christiana » qui trouvera notamment son apogée au Moyen-Age avec les Croisades.
Dans le monde antique l’Europe en tant que construction politique, économique et culturelle n’a pas de réalité effective. Car l’Europe ne désigne alors même pas un territoire unifié mais fait référence à un mythe et fait partie de l’imaginaire artistique.
De même, l’Europe ne fonde pas la civilisation occidentale, celle des futurs peuples qui seront au cœur du noyau communautaire européen. Elle est construite par l’Histoire. Si l’Europe est universelle, parfois pensée comme l’expression politique d’une cité idéale, c’est aussi parce qu’elle trouve son universalité dans la pluralité de ses identités et ses fondements dans un système politique grec et latin : celui du gouvernement du peuple par le peuple. Un concept politique qui sera d’ailleurs conceptualisé et porté aux nues par les philosophes des Lumières qui ne cesseront de penser le Politique avec la République Romaine et la Démocratie Grecque. Aujourd’hui, alors que chaque peuple et chaque nation subit les effets de la crise, l’Union européenne devrait se rappeler de son héritage. Forte de sa pluralité et de son universalité, l’Europe n’est pas qu’une unification régionale. Elle est également une idée et l’expression d’un lien ineffable entre les Européens qui participent au même destin et regardent vers le même horizon.
In Varietate Concordia.
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Notes
[1] Certains auteurs pensent qu’il s’agissait plutôt de la grotte du mont Dicté où Zeus se cachait pendant sa jeunesse afin d’échapper à Cronos.
[2] Paul Valéry in L’Européen, 1924 (1ère publication dans la Revue Universelle) et in Europes de l’Antiquité au XXe siècle, collection Bouquins, éditions Robert Laffont, 2000, p. 414-425.
[3] Ceux qui ne parlent pas le Grec. que sont les Asiatiques et les Européens.
[4] Aristote, Politique
[5] Cf. Serge Berstein et Pierre Milza, Histoire de l’Europe, Tome 1, « L’héritage antique ». Hatier, 1994.
[6] Ibid.
[7] Cette tripartition des origines identitaires de l’Europe est notamment rappelée par Jérôme Borggini dans son article « Une idée d’Europe ».
[8] Bataille navale : les Perses menacèrent les Grecs.